Frédéric Barriault
Communications & Société
On célèbre ces jours-ci le 50e
anniversaire de la déclaration Nostra
Aetate du Concile Vatican II sur le dialogue interreligieux. Bien qu’il
s’agisse du plus court document (trois pages) à avoir été produit lors du
Concile, c’est sans conteste l’un des textes conciliaires ayant exercé la plus
grande influence sur l’Église. Nostra
Aetate a en effet transformé de manière radicale les relations entre
l’Église catholique et les religions non-chrétiennes.
Depuis 50 ans, l’Église est profondément
engagée dans la voie du dialogue interreligieux. Le Vatican et les conférences
épiscopales nationales ont en effet multiplié les rencontres et les espaces de
dialogue afin que chrétiens et non-chrétiens, catholiques et non-catholiques,
mettent un terme à des siècles de méfiance, de mépris et, parfois, de violence réciproques.
Afin qu’un climat de confiance et de respect mutuel puisse être établi entre
les grandes traditions religieuses. Et qu’on contribue ainsi à la paix mondiale.
Des liens extrêmement forts unissent la
déclaration Nostra Aetate (28 octobre
1965) et l’encyclique Pacem in Terris
(11 avril 1963) du pape Jean XXIII. Dans les deux cas, l’Église a pris fait et
cause pour la mise en place d’une culture favorable au dialogue interreligieux,
à la solidarité internationale et à la promotion de la paix mondiale.
Dans cet article, nous tâcherons de mettre
en évidence le contenu et le contexte de rédaction de la Nostra Aetate, de même que l’influence décisive que cette
déclaration a exercé sur l’Église.
L’Église
catholique et le dialogue interreligieux
Il n’y a pas si longtemps, l’Église
catholique était loin d’être aussi bienveillante à l’égard des religions
non-chrétiennes. Les missionnaires envoyés convertir les peuples lointains
devaient non seulement y prêcher la « supériorité » de la foi
catholique mais aussi pousser leurs catéchumènes à couper tous leurs liens avec
leur ancienne religion, jugée idolâtre et superstitieuse. « Hors de
l’Église, point de salut » disait l’adage.
L’attitude de l’Église à l’égard des
autres religions était parfois teintée de mépris, sinon d’hostilité ouverte, y
compris à l’égard de nos « frères séparés » protestants : la
théologie protestante était jugée hérétique et tournée en dérision; leurs
pasteurs et fidèles étaient traités avec méfiance; les mariages mixtes entre catholiques
et protestants étaient même présentés comme le « mal absolu » par
certains prêtres.
Les juifs n’étaient guère mieux
considérés. La liturgie du Vendredi saint présentait encore les juifs comme un
« peuple perfide et maudit » et comme un « peuple
déicide », les enfants d’Israël étant collectivement jugés coupables
d’avoir « tué » le Christ… Quant à l’islam, aussi bien dire qu’une
méfiance durable existait entre les deux religions, et ce, depuis au moins
l’époque des Croisades…
Un point
tournant : la déclaration Nostra
Aetate du Concile Vatican II
La déclaration Nostra Aetate a changé du tout au tout l’attitude de l’Église à
l’égard des autres religions. Au départ, il ne devait s’agir que d’une
déclaration sur les juifs. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et du
génocide hitlérien, plusieurs voix s’étaient élevées dans l’Église afin qu’on
mette un terme à des décennies, voire des siècles, d’antisémitisme et
d’antijudaïsme chrétiens.
Lui-même horrifié par le nazisme et ayant
contribué à sauver la vie de 24 000 juifs alors qu’il était nonce en
Turquie, le pape Jean XXIII a joué un rôle-clé dans la naissance de Nostra Aetate. Profitant du fait que les
évêques de la catholicité étaient réunis en concile œcuménique, il confia au
cardinal Augustin Bea, un jésuite allemand, la tâche de revoir, en communion
avec les Pères conciliaires, l’attitude de l’Église à l’égard du peuple juif.
Ce projet était très cher au cœur de Jean XXIII : il s’était lui-même
engagé auprès de l’historien juif Jules Isaac à revoir de fond en comble les
relations entre juifs et chrétiens.
Au terme de débats parfois houleux, les
Pères conciliaires de Vatican II ont fini par accoucher d’un texte fondateur
dans l’histoire de l’Église : la Déclaration
sur les relations de l'Église avec les religions non-chrétiennes (Nostra
Aetate). Adoptée en 1965, cette déclaration va beaucoup plus
loin que ce que souhaitaient le pape Jean XXIII et le cardinal Bea. La déclaration Nostra Aetate ne se
contente pas donner naissance à un dialogue fécond et sincère entre juifs et
chrétiens : elle demande aussi à l’Église de reconnaître ce qu’il y a de
« vrai et de saint » dans toutes
les religions du monde et exhorte les catholiques à faire preuve « d’un
respect sincère » à l’égard de religions qui, « quoiqu’elles
diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même [l’Église] tient et
propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous
les hommes ».
Nostra Aetate ne libère certes pas l’Église de sa mission fondamentalement missionnaire :
« Toutefois, [l’Église] annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse,
le Christ qui est « la Voie, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), dans lequel
les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel
Dieu s’est réconcilié toutes choses (2 Co 5, 18-19) ». Elle exhorte
néanmoins les catholiques à s’engager « avec prudence et charité »,
dans un dialogue franc et une collaboration sincère avec « les
adeptes d’autres religions ».
Le leadership
exceptionnel de Jean-Paul II en matière de dialogue interreligieux
Plusieurs initiatives ont été déployées
par l’Église afin d’entrer en dialogue avec fidèles des grandes traditions
religieuses du monde. Mais aussi pour demander humblement pardon pour les péchés
commis au cours de l’histoire « par ceux qui ont porté le nom de chrétiens »
mais qui se sont comportés de manière très peu évangélique.
Nul pape d’incarne mieux que Jean-Paul II
cette double évolution du catholicisme. Non seulement a-t-il joué un rôle-clé
dans le dialogue interreligieux, mais il a aussi consacré les dernières années
de son pontificat à « purifier » et à « guérir » la mémoire
de l’Église, en demandant pardon pour l’attitude violente des catholiques d’autrefois
à l’égard des chrétiens orthodoxes, des protestants, des juifs, des musulmans,
des Amérindiens, des esclaves noirs, etc.
Jean-Paul II a aussi donné le ton en
matière de dialogue interreligieux, d’abord lors de son discours de Casablanca,
au Maroc, le 19 août 1985, où il avait fait l’éloge du dialogue
islamo-musulman. Ensuite lors de sa visite de la Grande synagogue de Rome, le
13 avril 1986, où il avait prié en compagnie du grand rabbin Elio Toaff. Enfin,
en devenant le tout premier pape à visiter la Mosquée des Ommeyades de Damas,
le 7 mai 2001, où il a d’ailleurs prononcé une homélie en faveur de la paix
entre les chrétiens, les juifs et les musulmans.
Un événement
emblématique : les Rencontres interreligieuses d’Assise
L’un des événements les plus symboliques
de son pontificat a eu lieu en 1986. Cette année-là, saint Jean-Paul II
décidait d’inviter les leaders des grandes religions du monde à une rencontre
interreligieuse, dans un esprit de paix, de fraternité et de dialogue. Il
choisit de tenir cette rencontre à Assise, ville natale du fondateur des
Franciscains. Saint patron des écologistes, Francois d’Assise était aussi un homme de paix, ce dernier étant
entré en dialogue avec le sultan d’Égypte, et ce…. en pleine époque des
Croisades!
Plus de 150 chefs religieux mondiaux, dont
le Dalaï Lama, ont assisté à la première édition des Rencontres
interreligieuses d’Assise. Aux yeux de Jean-Paul II, le but de cette rencontre n’était
certes pas de demander aux chefs religieux d’en arriver à un « consensus
religieux » ou même de « mener une négociation » sur les
convictions qui sont au cœur de leur foi. L’objectif était plus modeste,
quoique profondément « révolutionnaire ». Les chefs religieux devaient
surtout « puiser
aux sources les plus profondes et les plus vivifiantes » de leurs
spiritualités respectives afin de contribuer à édification d’un monde plus
pacifique et plus fraternel.
La rencontre d’Assise ayant été un vif
succès, on répétera l’expérience en 1993, en 1999 en 2002 et en 2011.
Les conséquences à
long terme de Nostra Aetate
Les conflits militaires et les tensions
interreligieuses n’ont certes pas cessé d’ensanglanter notre monde. Cela n’a
pas empêché l’Église de se cramponner à cet idéal qu’est celui du dialogue
œcuménique et interreligieux. Un grand nombre de catholiques ont poursuivi
coûte que coûte leurs efforts de dialogue avec les fidèles issus d’autres
traditions religieuses, parfois dans le but de contribuer à la paix mondiale et
au respect mutuel, parfois dans le but de mieux comprendre et de mieux
apprécier l’originalité de leur
propre tradition religieuse.
Des moines trappistes comme Thomas Merton
et Christian de Chergé ont joué un rôle décisif en matière de dialogue avec les
fidèles issus d’autres traditions religieuses. Les moines martyrs de l’abbaye
de Tibhirine, en Algérie, et ceux de l’abbaye de Mar Moussa, en Syrie, n’ont
pas agi autrement : même face aux violences des djihadistes, ils se sont
cramponnés à l’idéal de dialogue préconisé par la déclaration Nostra Aetate de Vatican II.
Au cours des 50 dernières années,
plusieurs initiatives ont été déployées par la Conférence des évêques
catholiques du Canada afin de contribuer au dialogue interreligieux. Celles et
ceux qui voudraient en apprendre davantage à ce sujet pourront lire le document
publié par la CECC afin de célébrer le 50e anniversaire de Nostra Aetate et intitulé Une Église en dialogue.
De nos jours, seuls les intégristes
rejettent avec véhémence cet idéal de dialogue, de fraternité et de respect
mutuel. Bien sûr, tous sont inquiets à la vue de la persécution dont sont
victimes les minorités chrétiennes de la part de groupes djihadistes armés
comme Boko Haram et l’État islamique. Le pape François s’est d’ailleurs maintes
fois prononcé sur le sujet. Mais sans jamais sombrer dans la moindre logique
guerrière, ni dans la moindre méfiance maladive à l’égard de l’islam. Dans Evangelii Gaudium (IV, 253), il a
réitéré son respect envers « les vrais croyants de l’islam » et a rappelé
aux catholiques qu’ils doivent « éviter d’odieuses généralisations, parce
que le véritable islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à
toute violence ».
Aux yeux du pape, la solution à ces
tensions interreligieuses passe par le dialogue et la diplomatie — et non pas
par la lutte armée. Inutile de rappeler ici son parti-pris en faveur de la
paix, que ce soit entre Cuba et les États-Unis, entre la Russie et l’Ukraine,
ou entre Israël et la Palestine. C’est d’ailleurs ce qu’il a rappelé lors de
son récent discours aux Nations Unies, le 25 septembre dernier.
Signe des temps, dans son encyclique Laudato Si sur la sauvegarde de la
création, il n’a pas hésité à citer les paroles d’un mystique musulman du IXe
siècle (Ali-al-Khawas) et à citer celles de l’actuel patriarche orthodoxe de
Constantinople, Bartholomée Ier. Il n’a pas davantage hésité à
participer à une prière interreligieuse aux abords de Ground Zero et du
Mémorial du 11 Septembre 2001, lors de son récent voyage à New York. Et ce, en
compagnie de chefs religieux juifs, musulmans, chrétiens, bouddhistes et
hindous. Pas plus d’ailleurs qu’il n’a hésité, lors de son voyage à Jérusalem,
le 26 mai 2014, à aller prier devant les Lieux saints de l’islam (Le Dôme du
Rocher) et du judaïsme (le Mur des Lamentations). En répétant encore et encore
le même message aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans:
Chers amis de ce lieu saint, je lance un appel pressant à toutes les personnes et aux communautés qui se reconnaissent en Abraham : respections-nous et aimons-nous les uns les autres comme des frères et des soeurs! Apprenons à comprendre la douleur de l'autre! Que personne n'instrumentalise par la violence le Nom de Dieu! Travaillons ensemble pour la justice et pour la paix!
Il suffit de voir de quelle manière le pape Francois et l’Église catholique ont réagi à la crise des migrants pour prendre la mesure de cet appel en faveur la fraternité universelle. À une époque où certaines personnes se méfient des étrangers, où certains pays érigent des murs « anti-immigrants » à leurs frontières et où certains intellectuels défendent l’idée d’un « choc » inévitable entre la civilisation occidentale et la civilisation islamique, on devrait s’attendre à une montée en flèche de la haine et de l’indifférence, y compris de la part des catholiques. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit. Une vague de sympathie et de solidarité à l’égard des réfugiés syriens et irakiens s’est déployée un peu partout dans la catholicité. Le pape Francois et les évêques ont multiplié les prises de position en faveur de l’accueil des réfugiés, et ce, même si la plupart d’entre eux sont musulmans. Les diocèses d’Europe et d’Amérique se sont mobilisés afin de faciliter et d’accélérer l’accueil de ces réfugiés.
Chers amis de ce lieu saint, je lance un appel pressant à toutes les personnes et aux communautés qui se reconnaissent en Abraham : respections-nous et aimons-nous les uns les autres comme des frères et des soeurs! Apprenons à comprendre la douleur de l'autre! Que personne n'instrumentalise par la violence le Nom de Dieu! Travaillons ensemble pour la justice et pour la paix!
Il suffit de voir de quelle manière le pape Francois et l’Église catholique ont réagi à la crise des migrants pour prendre la mesure de cet appel en faveur la fraternité universelle. À une époque où certaines personnes se méfient des étrangers, où certains pays érigent des murs « anti-immigrants » à leurs frontières et où certains intellectuels défendent l’idée d’un « choc » inévitable entre la civilisation occidentale et la civilisation islamique, on devrait s’attendre à une montée en flèche de la haine et de l’indifférence, y compris de la part des catholiques. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit. Une vague de sympathie et de solidarité à l’égard des réfugiés syriens et irakiens s’est déployée un peu partout dans la catholicité. Le pape Francois et les évêques ont multiplié les prises de position en faveur de l’accueil des réfugiés, et ce, même si la plupart d’entre eux sont musulmans. Les diocèses d’Europe et d’Amérique se sont mobilisés afin de faciliter et d’accélérer l’accueil de ces réfugiés.
Les grandes ONG catholiques — Caritas et
Développement & Paix, par exemple — n’agissent pas autrement lorsqu’elles
viennent en aide aux populations éprouvées par la guerre, la famine, les
catastrophes naturelles ou le sous-développement. La religion pratiquée par ces
populations n’est jamais prise en considération lorsque ces ONG leur viennent
en aide. Au cours des dernières années, ces ONG sont venues en aide des
milliers de personnes sur Terre, y compris dans des pays musulmans, du Pakistan
à la Syrie, et du Kosovo au Darfour.
Tout cela parce que, depuis
le Concile Vatican II et la Déclaration Nostra
Aetate, l’Église catholique s’est ralliée à un idéal de dialogue, de
compassion et de solidarité.
Pour accéder au texte de Nostra aetate: http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html
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