COMME LE VENT DANS LES VOILES | PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT 2021

Comme le vent dans les voiles

 Comme le vent dans les voiles vous présenteront tout le long de l'année des commentaires de Monseigneur Paul-André Durocher ou de Monseigneur Roger Ebacher, d'un prêtre ou d'un diacre, d'un homme ou d'une femme sur les textes des liturgies domicales. Nous sommes embarqués depuis le mois octobre dans une expérience synodale qui nous conduira jusqu'en 2023. Nous voilà donc invités à partager, à commenter la Parole et à nous nourrir de la Parole Dieu. Monseigneur Paul-André, premier pasteur de l'archidiocèse de Gatineau, nous conduit dans notre aventure.

En ce premier dimanche de l’avent, nous commençons une nouvelle année liturgique, l’année C dans un cycle de trois ans. Cette année sera consacrée à la lecture de l’évangile selon saint Luc, un évangile que j’ai toujours beaucoup aimé. Parmi les synoptiques, Marc est direct, presque abrupt ; pour lui, Jésus est le serviteur souffrant, rejeté et incompris. Matthieu est formel, bien enraciné dans son monde juif ; à ses yeux, Jésus est le nouveau Moïse venu accomplir la Loi. Luc est plus proche de la culture grecque, attentif à la beauté et à la compassion de Jésus, le grand prophète qui proclame une parole de grâce.

Nous pouvons entrevoir cette touche distincte de Luc dans l’extrait d’aujourd’hui qui rapporte le discours apocalyptique de Jésus. Luc cite une phrase omise par les autres évangélistes : « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. » Et encore, à la fin de l’extrait, il ajoute ces mots : « Ainsi, vous aurez la force… de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »

Ces mots encourageants sont typiques du Jésus que Luc aime présenter. Au cœur de cette annonce terrible, il se fait encourageant et compatissant pour les êtres fragiles que nous sommes. Jésus ne cache pas que la fin des temps sera difficile, mais il nous invite à y voir un moment d’espérance. Il invite ses disciples à ne pas s’abattre dans la crainte, mais à se redresser et relever la tête, à « tenir debout ! »

Savoir que Jésus est proche de nous nous permet de ne pas être abattus par les défis quotidiens qui nous assaillent individuellement ou qui ébranlent le monde. Nous sommes des hommes et des femmes d’espérance qui continuons à avancer malgré tout. Que cet avent soit un temps pour nous de nous redresser et de relever la tête. Soyons pleins de ce courage, car nous savons que notre Rédempteur est proche

+ Paul-André Durocher

Colloque sur la mission - Partie I

 

Notes libres de Rodhain Kasuba


Dans le cadre du mois missionnaire mondial et du 100e anniversaire de la fondation de la Société des Missions-Étrangères du Québec (SMÉ), la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (FTSR), le Séminaire de Québec, la Société des Missions-Étrangères du Québec, en partenariat avec l’Assemblée des évêques catholiques du Québec et les Œuvres pontificales missionnaires ont organisé un colloque intitulé « Des missions étrangères à la mission au Québec ». Il a eu lieu au Séminaire de Québec, les 18 et 19 octobre 2021. Tous les diocèses du Québec ont y pris part. Du diocèse de Gatineau, la délégation fut composée de six personnes : Mgr Paul-André Durocher, M. René Laprise, d.p. et économe diocésain, Mme Nicole Lecompte Myre, agente de pastorale, Mme Lise Grégoire, intervenante en pastorale, M André Inkel, agent de pastorale et Rodhain Kasuba, prêtre. 

Ce fut, à mes yeux, l’un des colloques les plus marquants par la qualité des intervenants, la pertinence des sujets et précision du contenu. Cet événement représentait également un moment important de réflexion et de discernement en Église. Cinq conférences ont été prononcées. Je suis heureux de vous présenter, en quelques mots, la première conférence donnée par M. Gilles Routhier, de la Faculté de théologie et de sciences religieuses (Laval). Elle portait sur L’urgence missionnaire au Québec : la prenons- nous vraiment au sérieux? Prochainement je vous présenterai les autres conférences. Il s’agit d’une synthèse élaborée, bien humblement, à partir de mes notes, prises librement.


L’urgence missionnaire au Québec : 

la prenons-nous vraiment au sérieux?


Gilles Routhier nous a conduits à réfléchir sur la question, très actuelle, de l’urgence missionnaire. En effet, depuis quelques années, il est souvent question de tournant et d’urgence missionnaire. Mais qu’est-ce que l’urgence missionnaire? Avant de parler de l’« urgence missionnaire », Routhier nous a d’abord invités à revisiter la signification même du mot « urgence ». Dans l’imaginaire collectif, l’« urgence » est associée au 911, à la police, aux pompiers, aux ambulanciers, au milieu hospitalier, etc. Ce mot suggère l’idée d’un appel et d’un agir dans l’immédiat. L’urgence est une nécessité que l’on ne peut pas ignorer en raison de son caractère pressant et insistant (ça urge!). L’urgence s’impose, elle presse, elle domine, elle contraint… et on ne peut pas s’y soustraire. Généralement, quand l’urgence vient de l’extérieur (par exemple, un appel 911), elle concerne une mise en péril de l’existence, une catastrophe, un danger… L’urgence appelle un sauvetage immédiat.


Or, selon Routhier, quand on parle de l’« urgence missionnaire », il ne saurait être question d’une contrainte qui nous vienne de l’extérieur. L’urgence missionnaire ne renvoie pas d’abord au fait que l’on court à la catastrophe ou que notre existence comme Église est en péril si on n’agit pas immédiatement et sans tarder. Au mieux, on serait concerné par la fermeture des églises et l’effondrement du catholicisme et on s’activerait, comme des pompiers, des ambulanciers ou des urgentistes, à sauver ce qui est péril et qui reste. Malheureusement, il faut bien le reconnaître, l’urgence missionnaire est souvent comprise ainsi, comme étant reliée à une menace de l’extérieur qui semble remettre en cause les positions acquises, tant et si bien que, autrement, nous ne ressentons pas d’urgence. C’est comme si l’urgence ne naissait pas de l’intérieur, de l’amour du Christ qui nous saisit, nous presse et nous engage à partager avec d’autres quelque chose de profond qui nous habite et nous anime. L’urgence missionnaire, insiste Giles Routhier, répond à un appel d’ordre intérieur. C’est un appel qui vient du Christ. Elle indique que l’annonce de l’Évangile est une réalité qui doit s’imposer à nous avec insistance, et qu’elle nous presse, en raison de son importance.


En partant d’une relecture de l’expérience de foi de Marie (Annonciation-Visitation), Gilles Routhier nous a amenés à redéfinir le sens de l’urgence missionnaire. En amont de l’activité missionnaire de Marie, il y a une rencontre assortie d’une salutation « troublante » : « Réjouis-toi comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » (Luc 1, 28). C’est ce moment initial qui a mis en mouvement la jeune fille de Nazareth, et l’a poussée en « en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda ». Selon Routhier, contrairement à ce qu’on a souvent pensé, Marie n’y est pas allée d’abord pour aider Élisabeth sa cousine, âgée, qui était enceinte et qui, de ce fait, nécessitait une assistance. Elle y est allée prestement plutôt pour lui partager quelque chose – la bonne nouvelle qu’elle venait de recevoir de l’ange et qui l’a profondément troublée – avec Élisabeth sa parente en qui se sont passées également des choses étranges et qui, aux dires de l’ange, a été elle aussi visitée par Dieu.



Revenant sur les constats du rapport Risquer l'avenir (du Comité de recherche de l'Assemblée des évêques du Québec sur les communautés chrétiennes locales (1992) et examinant la scène catholique québécoise (une foi sans parole, une identité chrétienne confuse, une habilité missionnaire réduite, un essoufflement de la vie spirituelle), Gilles Routhier se demande : Comment imaginer une urgence missionnaire dans ce contexte? Y a-t-il quelque chose qui nous ferait, comme Marie « partir en hâte pour nous rendre dans le pays d’en haut » Qu’est-ce qui peut bien nous y presser, surtout s’il s’agit d’aller en « pays montagneux », c’est-à-dire rude et escarpé, comme l’est sans doute aujourd’hui le terrain missionnaire au Québec? Et quelle urgence? Y a-t-il un motif qui nous conduirait à penser qu’il y a une urgence? Si on se convainquait qu’il y a urgence à sortir à la rencontre des autres pour leur partager l’Évangile et les inviter à vivre en Église, quel gain les Québécois tireraient-ils à connaître l’Évangile et à vivre chrétiennement et en Église?


Pour Routhier, c’est loin d’être évident, non seulement pour ceux et celles qui ont décroché de l’Église et de la foi, mais également pour les personnes qui continuent à fréquenter l’assemblée chrétienne. La mise en procès de l’Église catholique, bien avant les affaires récentes de pédocriminalité et des pensionnats autochtones, la critique de son exercice du pouvoir (exclusivement masculin) et de son cléricalisme ont fini, selon Routhier, par amener plusieurs de nos contemporains à penser qu’il n’était pas bon d’être chrétien ou que l’Église ne représentait pas d’un chemin de vie. Ce contexte culturel, social et ecclésial contribuent largement au développement de ce qu’il appelle un « catholicisme honteux » et étouffe à coup sûr l’éveil d’une conscience de l’urgence missionnaire. On est ainsi passé de la figure des missionnaires « héros » à celle des missionnaires « bourreaux ».


Pourtant, malgré ce paysage brumeux, Gilles Routhier est convaincu que les dés ne sont pas jetés. L’Église au Québec se trouve à l’heure du choix et même des choix audacieux. Cependant, le choix ne saurait se résumer au sauvetage de l’Église et des églises. Il n’y aurait pas de véritable renouveau de la mission et de l’Église, insiste-t-il, si, éblouis par la rencontre de Dieu, préoccupés par le salut de nos frères et sœurs, nous ne sortons pas des lieux que nous habitons, pour nous exposer aux grands vents du Québec. Sans verser dans le prosélytisme de mauvais aloi, Routhier estime qu’un renouveau missionnaire est possible si, fondés sur une véritable expérience spirituelle, nous prenions conscience que nous sommes au cœur d’une aventure vitale. Mais que c’est en même temps l’aventure plus exigeante, jamais achevée, toujours à recommencer. L’urgence missionnaire n’a jamais été à ce point vive pour nous décider de créer du neuf, comme plusieurs grandes figures missionnaires l’ont fait avant nous, plutôt que de simplement raccommoder un vêtement usé en y rapportant une pièce neuve. Nous avons un héritage missionnaire; il nous appartient de le faire fructifier. Nous ne pouvons cependant plus nous contenter de conserver des musées.