Notes libres de Rodhain
Kasuba
Dans le cadre du
mois missionnaire mondial et du 100e anniversaire de la fondation de la Société
des Missions-Étrangères du Québec
(SMÉ), la Faculté de théologie et de
sciences religieuses de l’Université Laval
(FTSR), le Séminaire de Québec, la Société des Missions-Étrangères du Québec,
en partenariat avec l’Assemblée
des évêques catholiques du Québec et
les Œuvres pontificales missionnaires ont organisé un
colloque intitulé « Des missions étrangères à la mission au Québec ». Il a eu
lieu au Séminaire de Québec, les 18 et 19 octobre
2021. Tous les diocèses du Québec ont y pris part. Du diocèse de Gatineau, la délégation fut composée
de six personnes : Mgr Paul-André Durocher, M. René Laprise, d.p. et économe diocésain, Mme Nicole Lecompte Myre,
agente de pastorale, Mme Lise Grégoire, intervenante en pastorale, M André Inkel, agent de pastorale
et Rodhain Kasuba, prêtre. Ce fut, à mes
yeux, l’un des colloques les
plus marquants par la qualité des intervenants, la pertinence des sujets et précision du contenu. Cet
événement représentait également un moment important de réflexion et de discernement en Église. Cinq conférences ont été
prononcées. Je suis heureux de vous présenter,
en quelques mots, la première conférence donnée par M. Gilles Routhier, de la
Faculté de théologie et de sciences
religieuses (Laval). Elle portait sur L’urgence missionnaire au Québec : la prenons-
nous vraiment au sérieux? Prochainement
je vous présenterai les autres conférences. Il s’agit
d’une synthèse élaborée, bien humblement, à partir de mes notes, prises librement.
L’urgence missionnaire au Québec :
la prenons-nous vraiment au sérieux?
Gilles Routhier
nous a conduits à réfléchir sur la question, très actuelle, de l’urgence missionnaire. En effet, depuis quelques années, il est
souvent question de tournant et d’urgence
missionnaire. Mais qu’est-ce que l’urgence missionnaire? Avant de parler de l’« urgence missionnaire », Routhier
nous a d’abord invités à revisiter la signification même du mot «
urgence ». Dans l’imaginaire collectif, l’«
urgence » est associée au 911, à la police, aux pompiers, aux ambulanciers, au
milieu hospitalier, etc. Ce mot
suggère l’idée d’un appel et d’un
agir dans l’immédiat.
L’urgence est une nécessité que l’on ne peut
pas ignorer en raison de son caractère pressant et insistant (ça urge!). L’urgence s’impose, elle presse,
elle domine, elle contraint… et on ne peut pas s’y soustraire. Généralement, quand l’urgence vient de
l’extérieur (par exemple, un appel 911), elle concerne
une mise en péril de l’existence, une catastrophe, un danger… L’urgence
appelle un sauvetage immédiat.
Or, selon
Routhier, quand on parle de l’« urgence
missionnaire », il ne saurait être question d’une contrainte qui nous vienne de l’extérieur. L’urgence missionnaire ne
renvoie pas d’abord au fait que l’on court à la catastrophe ou que notre existence comme Église est en péril si on n’agit pas immédiatement et sans tarder.
Au mieux, on serait concerné
par la fermeture des églises
et l’effondrement du catholicisme et on s’activerait, comme des pompiers,
des ambulanciers ou des urgentistes, à sauver ce qui est péril et qui reste.
Malheureusement, il faut bien le reconnaître, l’urgence missionnaire est souvent comprise
ainsi, comme étant reliée à une menace
de l’extérieur qui semble remettre
en cause les positions acquises, tant et si bien que, autrement, nous ne
ressentons pas d’urgence. C’est comme si l’urgence ne
naissait pas de l’intérieur, de l’amour du Christ qui nous saisit, nous presse et nous engage à partager avec d’autres quelque chose de
profond qui nous habite et nous anime.
L’urgence missionnaire,
insiste Giles Routhier, répond à un appel d’ordre
intérieur. C’est un appel qui vient du Christ. Elle
indique que l’annonce de l’Évangile
est une réalité qui doit s’imposer à nous avec insistance, et qu’elle nous presse, en raison de
son importance.
En partant d’une relecture de l’expérience de foi de Marie
(Annonciation-Visitation), Gilles Routhier nous
a amenés à redéfinir le sens de l’urgence
missionnaire. En amont de l’activité
missionnaire de Marie, il y a une rencontre assortie d’une salutation
« troublante » : « Réjouis-toi comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » (Luc
1, 28). C’est ce moment initial qui a mis en mouvement la jeune fille de Nazareth, et l’a poussée en « en hâte vers la région montagneuse,
dans une ville de Juda ». Selon Routhier, contrairement à ce qu’on a souvent pensé, Marie n’y est pas allée d’abord pour aider Élisabeth
sa cousine, âgée, qui était
enceinte et qui, de ce fait, nécessitait une assistance. Elle y est allée
prestement plutôt pour lui partager quelque chose – la bonne nouvelle qu’elle venait
de recevoir de l’ange et qui l’a profondément
troublée – avec Élisabeth sa
parente en qui se sont passées également des choses étranges
et qui, aux dires de l’ange, a été elle aussi visitée par Dieu.
Revenant sur
les constats du rapport Risquer l'avenir (du
Comité de recherche de l'Assemblée des évêques
du Québec sur les communautés chrétiennes locales (1992) et examinant la scène
catholique québécoise (une foi sans
parole, une identité chrétienne confuse, une habilité missionnaire réduite, un essoufflement de la vie spirituelle),
Gilles Routhier se demande : Comment imaginer une urgence missionnaire dans ce contexte? Y a-t-il
quelque chose qui nous ferait, comme Marie « partir en hâte pour
nous rendre dans le pays d’en haut » Qu’est-ce
qui peut bien nous y presser, surtout
s’il s’agit d’aller en « pays
montagneux », c’est-à-dire
rude et escarpé, comme l’est sans
doute aujourd’hui le terrain missionnaire au Québec? Et quelle
urgence? Y a-t-il un motif qui nous conduirait
à penser qu’il y a une
urgence? Si on se convainquait qu’il y
a urgence à sortir à la rencontre des autres pour leur partager l’Évangile et
les inviter à vivre en Église, quel gain les Québécois tireraient-ils à
connaître l’Évangile et à vivre chrétiennement et en Église?
Pour Routhier, c’est loin d’être évident, non seulement
pour ceux et celles qui ont
décroché de l’Église et de la foi, mais également pour les
personnes qui continuent à fréquenter
l’assemblée chrétienne. La mise en procès de l’Église
catholique, bien avant les affaires
récentes de pédocriminalité et des pensionnats autochtones, la critique de
son exercice du pouvoir (exclusivement masculin) et de son cléricalisme ont fini, selon Routhier, par
amener plusieurs de nos contemporains à penser qu’il
n’était pas bon d’être chrétien ou
que l’Église ne représentait pas d’un chemin de vie. Ce contexte
culturel, social et ecclésial
contribuent largement au développement de ce qu’il
appelle un « catholicisme honteux »
et étouffe à coup sûr l’éveil d’une conscience de l’urgence missionnaire. On est ainsi passé de la
figure des missionnaires « héros » à celle des missionnaires « bourreaux ».
Pourtant,
malgré ce paysage brumeux, Gilles Routhier est convaincu que les dés ne sont
pas jetés. L’Église au Québec se trouve à l’heure du choix et même des choix audacieux. Cependant,
le choix ne saurait se résumer au
sauvetage de l’Église et des
églises. Il n’y aurait pas de
véritable renouveau de la mission et de l’Église, insiste-t-il, si,
éblouis par la rencontre de Dieu, préoccupés par le salut de nos frères
et sœurs, nous ne sortons pas des lieux que nous habitons, pour nous
exposer aux grands vents du Québec.
Sans verser dans le prosélytisme de mauvais aloi, Routhier estime qu’un renouveau missionnaire est possible si,
fondés sur une véritable expérience spirituelle, nous prenions conscience que nous sommes au cœur d’une aventure vitale. Mais que c’est en même temps l’aventure plus exigeante,
jamais achevée, toujours à recommencer. L’urgence
missionnaire n’a jamais été à ce point
vive pour nous décider de créer du neuf, comme plusieurs grandes figures
missionnaires l’ont fait avant nous, plutôt que de simplement raccommoder un vêtement usé en y rapportant une pièce neuve.
Nous avons un héritage missionnaire; il nous appartient de le faire
fructifier. Nous ne pouvons cependant
plus nous contenter de conserver des musées.