Le père Ron Rolheiser est un oblat canadien qui vit présentement aux États-Unis. Il publie une réflexion hebdomadaire en anglais sur des sujets d'actualité. Voici une traduction de sa plus récente qui pourrait être utile à ceux et celles qui, devant les frasques de l'Église, se demandent pourquoi rester.
Il y a quelques semaines, après avoir présenté un entretien à un
colloque religieux, la première question de l’auditoire fût celle-ci :
Comment peux-tu demeurer dans une Église qui a joué un rôle crucial dans la
mise sur pied et le maintien des écoles résidentielles pour les peuples
autochtones du Canada? Comment peux-tu demeurer dans une Église qui a fait
cela?
La question est légitime et importante. Qu’il s’agisse du passé ou
du présent, il y a assez de péché dans l’Église pour justifier la question. La
liste des péchés commis au nom de l’Église est longue : l’inquisition, son
appui de l’esclavage, son rôle dans le colonialisme, ses liens au racisme, son obstruction
aux droits des femmes, et ses compromissions sans nombre, historiques et
actuelles, avec la suprématie blanche, la richesse et le pouvoir politique. Les
accusations sont parfois excessives et peu nuancées, mais en gros l’Église est
coupable de ces fautes.
Par contre, cette culpabilité n’est pas unique à l’Église. Les mêmes
accusations peuvent être adressées aux pays que nous habitons. Comment demeurer
dans un pays qui connaît une histoire de racisme, d’esclavage, de colonialisme,
de génocide de ces peuples autochtones, de grande inégalité entre ses riches et
ses pauvres, qui ferme ses oreilles aux réfugiés désespérés à ses frontières,
et dans lequel des millions de personnes s’haïssent? Ne crée-t-on pas une équivoque
morale en affirmant qu’on a honte d’être catholique (ou chrétien) alors que les
nations que nous habitons partagent la même histoire et les mêmes fautes?
Mais puisque l’Église est appelée à être une semence pour la
société et pas seulement son miroir, la question est valide. Pourquoi demeurer
dans l’Église? Il existe des réponses apologétiques à cette question mais, en
fin de compte, pour chacun de nous, la réponse doit être personnelle. Pourquoi
est-ce que je demeure dans l’Église, moi?
Premièrement, parce que l’Église, c’est ma langue maternelle. Elle m’a donné la foi, m’a fait découvrir Dieu, m’a donné sa Parole, m’a enseigné à prier, m’a donné les sacrements, m’a montré de quoi la vertu peut avoir l’air, m’a mis en contact avec des saintes et des saints vivants. De plus, malgré toutes ses limites, elle a été pour moi assez authentique, assez altruiste et assez pure pour mériter l’autorité morale de me demander d’y lui confier mon âme, une confiance que je n’ai accordée à nulle autre communauté. Je suis à l’aise à prier avec d’autres religions et à partager mon âme avec des non-croyants, mais je reconnais dans l’Église qui m’a élevé ma demeure, ma langue maternelle.
Deuxièmement, l’histoire de l’Église n’est pas
univoque. Je reconnais ses péchés et je les admets ouvertement, mais c’est loin
d’être la réalité entière. L’Église est aussi l’Église des martyrs et des saints,
d’une générosité infinie et de millions de femmes et d’hommes au cœur grand et
noble qui sont mes modèles moraux. Je me tiens dans l’obscurité de ses péchés;
mais je me tiens aussi dans la lumière de sa grâce et de tout le bien qu’elle a
fait dans l’histoire.
Enfin – et c’est le plus important – je demeure dans l’Église
parce que c’est tout ce que nous avons! Nous ne pouvons aller ailleurs. Je me
reconnais dans le sentiment ambivalent qu’a connu Pierre lorsque, après avoir
entendu Jésus dire quelque chose qui éloigna tout le monde de lui, Jésus lui demanda :
« Toi aussi, veux-tu partir? » Il répliqua (au nom des tous les
disciples) : “J’aimerais bien, mais où pourrions-nous aller? Nous reconnaissons
que, malgré tout, c’est toi qui as les paroles de la vie éternelle. »
Fondamentalement, Pierre est en train de dire : « Jésus,
nous ne te comprenons pas, et ce que nous comprenons ne nous plaît pas souvent.
Mais nous savons qu’il est mieux pour nous de rester avec toi sans comprendre
que d’aller ailleurs. Malgré les moments sombres, tu es tout ce que nous avons! »
L’Église est tout ce que nous avons! Où aller autrement? Il y en a
qui disent avec sincérité qu’ils sont spirituels mais non religieux. N’est-ce
pas là l’aveu caché d’un échec radical ou d’une hésitation coupable de faire
face à la réalité d’une communauté religieuse et d’accepter ce que Dorothy Day
appelait « l’ascétisme de la vie en Église »? Affirmer qu’on ne peut pas
ou qu’on ne veut pas avoir affaire à une communauté religieuse impure, c’est
une évasion, un échappatoire égoïste qui, en fin de compte, n’est pas utile,
surtout pas pour la personne qui l’affirme. Pourquoi? Parce que la compassion,
pour être efficace, doit être collective – ce que je rêve seul demeure un rêve,
mais ce que je rêve avec d’autres peut devenir réalité. Je ne vois rien hors de
l’Église qui peut sauver ce monde.
Il n’existe aucune Église pure à laquelle se joindre, tout comme
il n’y a aucun pays pur où habiter. L’Église, avec son histoire en clair-obscur
et son actualité compromise, est tout ce que nous avons. Nous devons faire
nôtres ses fautes. Son histoire est notre histoire; son péché, notre péché; et
sa famille, notre famille – la seule famille durable que nous avons.
Ron Rolheiser
12 juillet 2021
Version originale en anglais : https://ronrolheiser.com/en/#.YO4BxehPGUk